Par Hervé Jouves, président de Hygie31

Le PLFSS 2026 promet des économies. Il risque surtout d’en coûter davantage. En cherchant à réduire les dépenses de ville, le gouvernement fragilise la première ligne du système de santé — celle qui permet justement d’éviter les coûts hospitaliers les plus lourds.

Des économies de court terme, des déficits durables

Les mesures de plafonnement des remises, de réduction des marges officinales et de resserrement de l’ONDAM de ville relèvent d’une logique de rabot : économiser vite, sans considérer les effets différés. Or, ces « ajustements » budgétaires produisent l’inverse de l’efficience : ils affaiblissent la santé de proximité, donc la capacité de prévention.

L’économie visée – 7 milliards d’euros – paraît séduisante sur le papier, mais elle est illusoire. Chaque fermeture d’officine, chaque retard de soins ou renoncement (qui concerne un Français sur trois) alimente le déficit hospitalier. Selon les projections, 13 000 hospitalisations supplémentaires découleraient du manque de prise en charge précoce. Chaque euro « économisé » sur la pharmacie finit par en coûter plusieurs centaines à l’hôpital.

Des chiffres qui parlent

La vaccination en officine en apporte la preuve. En France, les pharmaciens réalisent désormais plus de 50 % des vaccinations contre la grippe. Ce rôle central permet à la fois d’atteindre l’objectif de couverture vaccinale fixé par les autorités sanitaires et de générer près de 200 M€ d’économies par an pour l’Assurance maladie.
Rien d’étonnant : l’acte de vaccination contre la grippe est rémunéré 7,50 € en officine, contre le plus souvent 30 € lorsqu’il est réalisé dans un autre cadre. La pharmacie d’officine démontre ainsi, chaque jour, qu’elle est l’un des relais de santé les plus efficients : efficace, accessible et moins coûteuse pour le patient comme pour la collectivité

Même constat pour la persistance thérapeutique : l’urgence silencieuse qui coûte des vies
Améliorer la persistance aux traitements n’est pas un détail : c’est un levier immédiat pour désengorger l’hôpital et réduire les coûts. Dans une pathologie respiratoire sévère, près de 40 % des patients en France interrompent leur traitement dans les trois ans ; la mortalité suit la même pente. Dans certaines régions, ce cap est atteint dès 12 mois. Chaque rupture d’observance, c’est une complication évitable, une urgence de plus, un lit occupé inutilement.

La pharmacie d’officine est notre meilleure alliée : rappels, bilans de médication, suivi proactif, coordination avec le prescripteur. Si l’abandon est si élevé quand le pronostic vital est engagé, qu’en est-il du diabète, du cholestérol, de l’asthme, de l’hypertension ?

Faisons de l’observance une priorité opérationnelle et rémunérons ces actes à leur juste valeur ! c’est moins d’interruptions, moins d’hospitalisations, moins de coûts — plus de vies protégées.
Une ordonnance interrompue aujourd’hui, c’est un lit d’hôpital occupé demain.

OSyS : la preuve par le terrain

L’expérimentation OSyS (« Orientation dans le Système de Soins ») illustre parfaitement la responsabilisation du pharmacien. Ce dispositif, validé par le ministère de la Santé, permet aux officines de prendre en charge des affections bénignes (plaies simples, brûlures, cystites, conjonctivites, douleurs pharyngées…), via des arbres décisionnels sécurisés et en lien avec les médecins. Résultat : moins de passages aux urgences, un gain de temps médical et une réduction des coûts évitables. Déployé en Bretagne, Centre-Val de Loire, Occitanie et Corse, OSyS doit être généralisé d’ici 2026. C’est un modèle concret d’efficience territoriale, sans créer de dépenses nouvelles.

La pharmacie, un investissement productif

La pharmacie n’est pas un poste de dépense : c’est un actif productif de santé publique. Chaque jour, les pharmaciens évitent des complications, ajustent des traitements, préviennent des hospitalisations. Les études sont claires : 1 € investi en officine génère jusqu’à 10 € d’économies pour la collectivité.
Le dispositif officinal, par sa capillarité et sa compétence, est déjà une infrastructure amortie. Le sous-financer, c’est affaiblir le seul réseau capable de maintenir un accès égalitaire aux soins.
Une réforme simple : rémunérer la performance sanitaire
Plutôt que de réduire les marges, rémunérons les résultats. Mettons en place un modèle de paiement à la performance fondé sur les indicateurs de santé publique : taux de vaccination, dépistages réalisés, observance thérapeutique. Ce mode de financement encouragerait les comportements vertueux et pérenniserait les missions déjà rentables économiquement.

Le vrai choix budgétaire : prévenir ou guérir ?

Le PLFSS 2026 prend le risque de taxer les malades aujourd’hui et l’hôpital demain. C’est un mauvais rabot au mauvais endroit, une économie d’affichage qui creuse les déficits futurs. Financer la prévention en officine, c’est protéger nos concitoyens et préserver notre système de santé.
Le débat n’est plus “combien coûte la pharmacie”, mais “combien elle fait économiser”. Un euro bien investi au comptoir vaut toujours mieux que dix dépensés aux urgences.

Chiffres-clés