Tribune Hervé JOUVES 04 Juin 2024
Le pharmacien d’officine n’est pas qu’un « logisticien du médicament »
Rémunérations injustes, pénuries de médicaments : les pharmaciens en péril
Le système de santé français est en souffrance. La pandémie a durement touché tous les secteurs médicaux et désormais les pharmaciens ne font pas exception. Les grèves, les fermetures de pharmacies (330 en 2023 et déjà 100 fermetures depuis le début de l’année 2024) et le manque de valorisation du métier témoignent d’une profession en crise. Les pharmaciens ont vu leur périmètre de missions de santé publique s’élargir considérablement, et c’est un point positif, mais il est temps de structurer ces nouvelles responsabilités pour soutenir nos pharmacies. Aujourd’hui, les pharmaciens participent activement aux campagnes de vaccination, de dépistage et offrent des services de téléconsultation. Malgré cet engagement renforcé, leur rémunération reste insuffisante, créant une dissonance entre les responsabilités assumées et la reconnaissance financière. En effet, les nouvelles missions qui leur sont confiées engendrent des disparités de rémunération. L’État, en leur attribuant ces fonctions élargies, réalise des économies substantielles au détriment de la profession. Par exemple, pour un test TROD (Test Rapide d’Orientation Diagnostique), le pharmacien reçoit seulement 10 euros en cas de résultat négatif, alors que la consultation chez un médecin revient à 30 euros. De même, pour une vaccination, le coût total chez un pharmacien est de 9,60 euros contre 60 euros chez un médecin. Une situation financièrement déséquilibrée, aggravée par des conditions de travail qui se détériorent dues au manque de personnel et à la pression de devoir rester ouvert du lundi au samedi. Les pharmacies doivent également supporter l’achat de médicaments coûteux, creusant un trou dans leur trésorerie. Parallèlement, la libéralisation de la vente en ligne de médicaments menace de déstabiliser le réseau des pharmacies d’officine.
Pour compléter le tout, une double pénurie nous guette. Une pénurie de pharmaciens tout d’abord (1 110 places sont restées vacantes en seconde année de pharmacie en 2023). Le manque de connaissance sur le métier de pharmacien et une désaffection générale ajoutent à la complexité de la situation. Les filières PASS et LASS sont totalement inadaptées et découragent nos jeunes alors que les pays limitrophes (Belgique, Espagne, Roumanie et Portugal) font le plein d’étudiants français qui ne reviennent pas toujours une fois diplômés. Une pénurie de médicaments ensuite, que nous subissons de plein fouet. Le système est mis à rude épreuve par la baisse des médicaments matures, qui doivent financer les innovations médicamenteuses, entraînant des ruptures sur des produits essentiels du quotidien. Ainsi, près de 5 000 médicaments, (antibiotiques, insuline, anticancéreux, etc.) sont actuellement en rupture de stock. Il est inadmissible que les clients-patients souffrent de cette situation alors que nous sommes la 7e puissance mondiale et que la santé est une préoccupation majeure pour chacun d’entre nous.
Quelles solutions pour demain ?
Si l’on souhaite que le pharmacien d’officine en France reprenne sa place de 1er relais de santé et soit considéré à sa juste valeur comme un acteur clé de cette révolution, il faut lui permettre de regagner ses lettres de noblesse de « docteur en pharmacie ». Car au-delà de sa formation initiale (bac+6 minimum), le pharmacien d’officine assure également diverses missions de santé, incluant les soins de premier recours, la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement, l’éducation thérapeutique et le suivi des patients, l’orientation dans le système de soins et le secteur médico-social, et l’éducation pour la santé. Il est donc primordial que le regard du public sur la profession évolue, pour une confiance retrouvée et une reconnaissance élargie de ses compétences. Une juste revalorisation des actes de vaccination, de dépistage et des entretiens est également essentielle pour ne pas mettre en péril l’équilibre financier des officines et encourager les pharmaciens à élargir leur périmètre d’intervention.
Par ailleurs, l’État est tenu de renforcer la sécurisation de l’approvisionnement en produits sanitaires afin de garantir la disponibilité des médicaments et assurer à plus long terme une souveraineté industrielle. Repenser l’espace de vente en pharmacie pour y inclure des espaces dédiés à la santé (entretien, cabine de téléconsultation) est également essentiel. L’expérimentation OSYS menée actuellement doit être déployée dans tout le territoire avec toutes ses missions pour désencombrer les urgences et pallier le manque de médecins. N’hésitons pas non plus à nous inspirer des pratiques qui fonctionnent chez nos voisins européens et à intégrer progressivement l’intelligence artificielle pour gagner en efficacité.
Un plan ambitieux pour une santé sans compromis
En tant que fervent défenseur de la santé pour tous, il est urgent que le gouvernement prenne pleinement conscience des dysfonctionnements de notre système de santé et propose un plan réaliste et ambitieux. Chaque Français doit pouvoir prendre soin de sa santé sans compromis. L’engagement de chaque professionnel de santé doit être valorisé à sa juste valeur et opéré en complémentarité des uns avec les autres.
Le Plan Santé 2030 doit marquer une transition de la santé curative vers une santé préventive, en mettant l’accent sur une médecine des 4P : personnalisée, préventive, prédictive et participative. Le pharmacien a un rôle central à jouer dans cette transformation, celui de « gare de triage » pour détecter et prévenir les maladies avant qu’elles ne nécessitent des interventions plus lourdes.
Arrêtons de subir, agissons !